La pollution de l'air, en Afrique, représente aujourd'hui le risque numéro 1 en matière de santé publique. Pour Matshidiso Moeti de l'OMS, il faut « cesser d'ignorer cette réalité »

Le Dr Matshidiso Moeti, Directeur régional de l'OMS pour l'Afrique, parle du coût de la pollution pour l'Afrique. Cet article d'opinion a été publié dans Les Echos de France.

Dr Matshidiso Moeti

La saison des pluies à Dakar au Sénégal prend fin au début du mois de novembre. C'est à ce moment-là que les niveaux de pollution de l'air s'élèvent de manière inquiétante. En août et en septembre alors que les pluies sont constantes, on peut encore respirer dans cette ville, mais ensuite la qualité de l'air se détériore à tel point que le niveau moyen de pollution reste au-delà des taux recommandés pour la santé. Entre décembre et mars, ces taux atteignent des pointes maximales.

Nous connaissons ces données parce que Dakar fait partie des 41 villes dans 10 pays africains ayant investi dans des instruments de mesure de la qualité de l'air pour évaluer les risques auxquels sont soumis leurs habitants au quotidien. Avec ces instruments, nous sommes en mesure d'avoir une idée précise de l'étendue du problème pour y remédier plutôt que de vivre en apnée.

La pollution de l'air provenant du dioxyde de carbone, du méthane, des protoxydes d'azote et autres gaz nocifs, nous le savons, est une des causes principales du changement climatique. Nous savons aussi que nous devons tout faire pour minimiser les effets pervers du changement climatique comme les inondations à répétition, les violentes tempêtes ou l'élévation du niveau de la mer. La liste est longue et inquiétante. Cependant, nous continuons à ignorer un des aspects les plus néfastes de la pollution de l'air : la dégradation de notre santé.

Décès prématurés

Des millions de personnes dans le monde sont victimes de la pollution de l'air, qui dans certaines villes d'Asie notamment, atteint des niveaux alarmants. Selon un nouveau rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'exposition aux particules fines, à la fois dans l'environnement ambiant et dans les habitations provoque environ sept millions de décès prématurés chaque année.

Cela touche tout particulièrement les enfants qui pour la plupart vivent dans des environnements dont les niveaux de pollution sont bien supérieurs aux seuils acceptables tels que définis par l'OMS. Chez les enfants de moins de cinq ans, plus d'un décès sur quatre est directement ou indirectement lié aux risques environnementaux. Cette situation est d'autant plus inquiétante en Afrique où tous les enfants respirent de l'air toxique, comparé à 50 % des enfants dans les pays riches et 93 % à l'échelle mondiale.

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La pollution de l'air est un fléau invisible qui tue lentement et affaiblit la santé pendant des années avant le déclenchement de la maladie, contrairement à d'autres épidémies dont les symptômes se font voir très tôt. Elle représente aujourd'hui le plus grand risque pour la santé publique et est responsable d'un grand nombre de maladies non-transmissibles telles que les cancers, les maladies cardiovasculaires et pulmonaires, ainsi que l'asthme. Et pourtant, nous continuons à ignorer cette réalité.

Au-delà de son impact sur notre santé, elle représente un coût économique non-négligeable. D'après les chiffres de 2013 de la Banque Mondiale, la pollution de l'air coûterait à l'Afrique environ 3,8 % de son taux de croissance du Produit national brut (PNB). Si l'on continue dans cette voie, les dépenses en matière de santé risquent d'augmenter plus rapidement que le PNB. Calculé en perte de journées de travail, ce coût s'élève à plus de 6,8 milliards de dollars. C'est le taux per capita le plus élevé au monde. L'impact qu'il a sur l'économie des pays africains est sans appel.

Contrôler la qualité de l'air

Des progrès sont en cours mais ils sont lents. L'essence à plomb est interdite sur le continent africain depuis 2006 et certains pays appliquent depuis quelques années, les normes internationales sur les taux maximums de soufre dans le gasoil. Les pays africains se tournent de plus en plus vers les énergies renouvelables plutôt que les énergies fossiles et avec des investissements ciblés, cette transition peut s'accélérer sans porter atteinte à la croissance du PNB.

Cependant ces mesures ne suffisent pas, il faut aussi pouvoir contrôler la qualité de l'air. Des fonds seraient disponibles pour mettre en place des systèmes de surveillance en redéployant par exemple, les subventions versées à la production d'énergies fossiles qui en 2015, étaient estimées à 26 milliards de dollars selon la Commission globale sur l'énergie et le climat.

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En Afrique comme ailleurs, les villes ont besoin de production d'énergie, de systèmes de transport urbain, de traitement des déchets et d'industries plus propres. De même, les ménages doivent être encouragés à utiliser des énergies domestiques moins polluantes. La transition complète en 2030 vers ces énergies coûterait 1,7 milliard de dollars selon l'Agence internationale pour l'énergie. C'est un investissement substantiel, mais qui pourrait, au moins en partie, être financé par une baisse des subventions vers les énergies fossiles. Pour cette raison, l'OMS organise à Libreville du 6 au 9 novembre une conférence sur la santé et l'environnement en Afrique.

L'Afrique ne peut plus se permettre de croître sans penser aux conséquences environnementales de cette croissance. Il faut avoir le courage de mettre en place des politiques qui permettent de mieux respirer.

Matshidiso Moeti est directeur régional pour l'Afrique à l'Organisation mondiale de la santé (OMS).


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