A Gouécké, les leaders religieux incontournables dans la riposte à Ebola.
Gouécké, Guinée – « Quatre de mes frères et cousins sont morts d’Ebola en 2015, donc je sais dans quoi je m’engage. » A l’entrée de la mosquée de Gouécké, une localité située dans le sud-est de la Guinée, près du Liberia, El hadj Moussa Soumahoro a la mine grave. Il vient tout juste d’achever son prêche matinal par une tirade sur Ebola et l’importance de la vaccination. Les fidèles s’éparpillent en se saluant à distance, sans se toucher. Une station de lavage des mains a été installée à l’entrée de la mosquée, comme devant tous les lieux de culte.
Depuis l’annonce du premier cas d’Ebola dans la région, le 14 février, l’imam de Gouécké ne ménage pas ses efforts pour encourager la population à collaborer avec les autorités sanitaires. Plus d’un mois plus tard, on déplore 23 cas, dont 12 décès. Fin mars, après près d’un mois sans nouveau cas, deux personnes ont été testées positives à Ebola.
En 2014-2016, une précédente épidémie d’Ebola avait entraîné la mort de 11 000 personnes en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Malgré cela, la récente réapparition du virus dans la région a laissé certains dubitatifs. Le virus est-il réel ? La vaccination sert-elle à quelque chose ? Et si tout le monde sait que je suis malade, serai-je mis au ban de la communauté ?
« La confiance est la base de tout », assène El hadj Moussa Soumahoro. « La maladie est réelle et j’ai confiance en nos médecins et les partenaires impliqués dans la riposte. C’est une lutte qu’il ne faut pas prendre à la légère. C’est pourquoi, en tant que leader religieux très écouté dans la communauté, j’ai estimé nécessaire de m’engager dans la lutte en faisant de la sensibilisation. »
Prêches, discussions informelles dans son quartier, rencontres avec les médecins… L’imam de la mosquée de Gouécké, une petite ville longtemps épicentre de la nouvelle épidémie, ne ménage pas ses efforts. Dès l’annonce du premier cas, il conclut chaque prière par une discussion sur les accolades à éviter, le lavage des mains à répéter et la nécessité de contacter les autorités en cas de décès. Un sujet sensible dans la région, où l’adieu aux morts occupe une place centrale.
Les enterrements et l’influence des religieux
Les enterrements se font en fonction du statut social, des croyances, du sexe et de l’âge de la personne. L’implication des religieux est nécessaire pour respecter les traditions, tout en se conformant aux règles des enterrements dignes et sécurisés (EDS) : « En tenant compte du statut social des individus et des groupes, l’organisation des cérémonies doit obéir strictement à un certain nombre de normes séculairement immuables dans la communauté », explique M. Sonah Mady Camara, socio-anthropologue et consultant à l’OMS. La crainte de ne pas pouvoir effectuer les enterrements selon la tradition a poussé certains à ne pas déclarer certains décès aux autorités.
Dans son bureau, Ibrahima Koné, sous-préfet de Gouécké et représentant légal de l’administration publique dans la sous-préfecture, confirme : « L’implication des religieux de Gouécké dans la riposte a été salutaire et a aidé à lever beaucoup de réticences au niveau de la communauté ». Musulman pratiquant, il se rend régulièrement à la mosquée. « Après chaque prière, l’imam sensibilise la communauté sur les mesures barrières, sur l’importance d’accepter de se faire vacciner et la nécessité de se présenter aux autorités sanitaires quand on présente les signes de la maladie à virus Ebola. »
Avant l’arrivée des premiers vaccins à Gouécké, fin février, l’opinion était partagée entre deux tendances. Il y avait « ceux qui étaient sûrs de l’efficacité du vaccin d’un côté, et ceux qui étaient sceptiques », détaille l’imam, qui fut l’un des premiers à se faire vacciner lors d’une cérémonie publique le 23 février 2021. Près de deux mois après le début de l’épidémie, environ 5 000 personnes ont été vaccinées, dont 2 400 travailleurs en première ligne.
Constatant qu’il était en bonne santé dans les jours qui ont suivis sa vaccination, « beaucoup de sceptiques sont revenus à de meilleurs sentiments », dit l’imam. Parmi eux figure Kangbè Camara, une habituée de la mosquée de Gouécké. « Des rumeurs couraient dans la commune rurale que cette maladie est un gros mensonge que les autorités sanitaires ont inventé avec la complicité du gouvernement pour se faire de l’argent sur le dos de la communauté de Gouécké. Que le vaccin aussi était venu pour tuer la population. C’est grâce aux sensibilisations de l’imam après la prière de l’aube que j’ai eu le courage d’aller me faire vacciner. »
Si la vaccination est un succès, le dépistage des cas se heurte à davantage de difficultés. Depuis la réapparition d’Ebola, le personnel du centre de santé de Gouécké n’effectue plus que deux ou trois consultations par jour, contre une trentaine auparavant : « Ebola fait peur et cette peur pousse les gens à se cacher dès qu’ils perçoivent les premiers signes de la maladie », admet Jean-Baptiste Goumou, vicaire de la paroisse de Gouécké. Lui aussi profite de chaque messe dominicale pour tenter de vaincre les réticences.
« Pendant la première épidémie, j’étais à Sérédou où la maladie a fait des ravages », raconte le vicaire. « A l’époque, l’espoir de guérir d’Ebola était mince. Aujourd’hui, nous disposons d’un vaccin et de traitements à condition de se présenter à temps, c’est-à-dire dès l’apparition des symptômes. J’incite donc la communauté à respecter les gestes barrières et à se déclarer dès qu’on présente les symptômes. »
Un comité de veille
L’influence de l’imam et du vicaire est telle qu’ils font désormais partie du Comité de veille chargé de la levée des réticences dans la commune rurale de Gouécké, mis en place par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les autorités locales. Ce comité vise à convaincre les populations de participer aux activités de dépistage de surveillance et d’enterrement digne et sécurisé (EDS).
« L'imam et le prêtre jouent un rôle fondamental dans les liens sociaux au sein de la communauté. Ils sont les confidents de tous, ce qui leur confère une aura aux yeux des fidèles et de la communauté, d’où l’importance de leur présence dans le comité », explique le socio-anthropologue Sonah Mady Camara, qui a aidé à constituer le comité. « Lorsque nos équipes interviennent sur le terrain, elles commencent toujours par leur rendre visite. En tant que membres du comité de veille chargé de la levée des réticences, ils permettent d’énormes progrès concernant le respect des mesures sanitaires et d’impliquer davantage les communautés dans la surveillance. »
Dans sa mosquée, El hadj Moussa Soumahoro continue d’appeler la communauté à lutter contre Ebola. « Aucun de mes fidèles n’a eu de problèmes », se félicite-t-il. « Aucun de ceux qui écoutaient mes sensibilisations n’ont contracté la maladie à virus Ebola pour le moment car je leur dis toujours de se référer aux médecins en cas d’apparition de signes de la maladie. » Mi avril, soit près de deux mois après le début de l’épidémie, Gouécké n’avait plus enregistré de nouveau cas depuis trois semaines.
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