Dr Oumaima Djarma : « La pandémie a mis en évidence l'extrême résilience des femmes tchadiennes »

Dr Oumaima Djarma : « La pandémie a mis en évidence l'extrême résilience des femmes tchadiennes »

En Afrique, Les femmes se tiennent en première ligne dans la crise de la COVID-19, en tant que personnels de santé, dans leurs communautés ou dans leurs foyers. Dr Oumaima Djarma est médecin infectiologue à l’hôpital provincial de Farcha, au Tchad. Elle nous parle de son expérience, des stigmatisations dont les femmes sont la cible, mais aussi de leur résilience face à la crise sanitaire.

Quel est l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et le bien-être des femmes au Tchad ?

La pandémie de la COVID-19 a eu un impact à la fois négatif et positif sur toute la population tchadienne. Négatif car elle a touché toutes les couches sociales et les femmes n’ont pas été épargnées. La crise a accentué la précarité et favorisé la recrudescence de plusieurs maux qui minent notre société. À mon sens, l'impact positif de la pandémie de COVID-19 sur les femmes est le fait que cette crise a mis en lumière les inégalités entre femmes et hommes, en particulier l'impact sur celles qui travaillent, les conditions de vie dans les ménages, mais aussi et surtout l'extrême résilience des femmes tchadiennes qui se réinventent au quotidien. La réalité est devenue tout simplement indéniable.

En pratique, l'impact de la crise sur les femmes se traduit de différentes manières. Au niveau social d’abord. Quand une femme est testée positive à la COVID-19, elle est stigmatisée et rejetée. Je n'oublierai jamais le cas d'une patiente enceinte et sur le point d’accoucher qui, dès que le travail a commencé, ne souhaitait pas donner naissance à son bébé à l’hôpital provincial de Farcha. Elle avait peur qu'on stigmatise son enfant en le surnommant ''Bébé COVID''. Il y a aussi l’histoire d’une jeune fille testée positive à la COVID-19 la veille de son mariage et qui fut par la suite perçue comme étant une « mariée maudite ».

Au Tchad, les foyers sont généralement gérés par les femmes. Ainsi, quand elles sont positives à la COVID-19, c'est tout le ménage qui est paralysé. Nous faisons face à des cas où des femmes refusent de faire le test quand leur conjoint est testé positif, de peur d'être stigmatisées ou d’être accusées d’être celle qui a apporté la maladie dans la maison. Tout cela prouve que le combat à mener pour sortir de cette crise doit s'opérer aussi sur l'angle du changement de comportement face aux pesanteurs socio-culturelles.

À l’hôpital provincial de Farcha où j’interviens, le personnel soignant est constitué d’une majorité de femmes. Ces femmes, qui sont aussi des mères et des épouses, sont stigmatisées dans leurs foyers. Certaines ont même été menacées d’expulsion par leur époux si elles continuaient à travailler à l’hôpital.

Sur le plan économique, l'indépendance financière des femmes grâce aux activités libérales est mise à rude épreuve. Le confinement, la fermeture des marchés et les autres mesures restrictives pour contenir la pandémie ont impacté les femmes. A la suite du confinement dans certaines provinces du pays, les hommes ont quitté leur foyer pour aller dans les provinces où les mesures étaient allégées, laissant ainsi les femmes et les enfants dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins primaires. Il est inconcevable pour une femme de rester à la maison sans revenus. C’est une pression morale qui peut l’affecter tant sur le plan physique que psychologique.

En tant qu’infectiologue, qu’avez-vous constaté à ce sujet au centre de prise en charge des malades de la COVID-19 ?

Au Tchad, dès le début de la crise, nous avons pris des dispositions qui ont été adaptées à l’évolution de la pandémie. Selon nos données officielles, jusqu’au mois de février, le taux de femmes contaminées était de 18 %. Malgré ce faible pourcentage, il n'en demeure pas moins que l'impact de la pandémie est conséquent sur la santé et le bien-être des femmes. Il faut rappeler que le Tchad, comme beaucoup d’autres pays dans le monde, tente encore de maîtriser la pandémie. Dans mon travail, je vois des patientes refuser l'isolement pour la simple et unique raison qu'elles ont peur de laisser leur maison et leurs enfants sans surveillance. C'est triste, je compatis, mais ce sont des faits avec lesquels nous devons composer en attendant des solutions durables, notamment un vaccin. Mon constat porte aussi sur les formes graves de la maladie ; toutefois cela concerne davantage les hommes que les femmes. Enfin, la fatigue et l'épuisement sont grands au sein des services, mais heureusement que la passion de notre métier, le courage et l'éthique nous unissent pour vaincre et dépasser cette crise.

Comment votre institution a-t-elle tenté d'atténuer l'impact de la pandémie sur les femmes ? Comment ces mesures ont-elles fait une différence ?

Le gouvernement a partagé des vivres aux ménages et aux couches sociales vulnérables. À cela s’ajoute plusieurs actions de sensibilisation axées sur les femmes, qui ont été menées par le gouvernement et notamment les femmes elles-mêmes.

Quelles leçons ont été tirées et quelles mesures supplémentaires peuvent être prises pour améliorer la prise en charge et le bien-être des femmes au Tchad ?

Il faut garantir davantage les droits des femmes, qui payent toujours un lourd tribut en termes de stigmatisation et d’inégalité. La crise a favorisé l’entraide en réapprenant à chacun de nous, notamment aux femmes, de se réinventer.

De plus, nous devons investir davantage sur les secteurs prioritaires tels que la santé, l’éducation et l’entreprenariat. La scolarisation des filles et l’autonomisation des femmes ont été mises en évidence en cette période de crise sanitaire. Les femmes sont un véritable levier de développement et de réussite. Tous ces secteurs cités sont indissociables pour l’atteinte des Objectifs de développement durable.

Un point essentiel à retenir est que nous ne devons pas attendre de subir les pandémies pour renforcer nos structures sanitaires. Nous devons être prêts à tout moment. Les leçons tirées pour les systèmes de santé en Afrique, notamment au Tchad, ont été comprises : il faut renforcer et pérenniser ces secteurs. Je salue au passage les actions menées par les partenaires de développement du Tchad, les bailleurs, sans oublier les jeunes et notamment les femmes, qui innovent à travers des initiatives individuelles ou à travers leurs startups dans la Tech, le numérique et autres secteurs pour aider chacun à surmonter la crise et réussir.

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Mr NAISSEM Jonas

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